LE SEPTENNAT UNIQUE POUR "RESTAURER" LA FONCTION PRESIDENTIELLE |
Dans quelques jours, la France célèbrera le 60ième anniversaire de la Vième République, dont la conception fut - comme chacun le sait - profondément marquée par les aspirations institutionnelles de Charles de Gaulle et de Michel Debré. Plus précisément, la constitution du notre actuelle République fut promulguée le 4 octobre 1958, après son adoption par le peuple français (1). Depuis son entrée en vigueur, la loi fondamentale de la Vième République a fait l'objet de 24 révisions, la dernière étant celle du 23 juillet 2008, initiée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Une nouvelle révision devrait avoir lieu dans les prochains mois, si le Gouvernement décide de relancer l'examen par le Parlement du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, qui aurait dû être adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale durant l'été dernier. Depuis 1789, la Vième République est le deuxième régime politique le plus long que la France ait connu, ce qui démontre la solidité des institutions qui nous ont été laissées en héritage. Toutefois, ce constat ne doit pas faire obstacle à un examen précis et objectif de ses paramètres institutionnels, pour mieux évaluer l'efficacité de son fonctionnement et sa capacité à répondre aux intérêts supérieurs de la France. De ce point de vue, il semble indispensable que, 18 ans après son adoption référendaire le 24 septembre 2000 (2) et presque après autant d'années de pratique, le quinquennat présidentiel fasse l'objet d'un examen critique. La question du quinquennat n'est pas une "mince affaire", pour reprendre les propos prêtés à Michel Debré, car contrairement à ce que d'aucuns dirent à son sujet lorsque l'opportunité de son instauration fut débattue durant l'année 2000, le raccourcissement de la durée du mandat présidentiel s'est révélé être, comme l'annonçait d'ailleurs certains juristes à l'époque, non pas un "gadget" mais une véritable "révolution" (3). Dans les faits, le passage du septennat au quinquennat a eu des conséquences beaucoup plus importantes que celles qui furent communément admises par ses promoteurs à la fin de années 1990. Il a profondément accentué le déséquilibre qui existait historiquement depuis 1958 au sein du pouvoir exécutif, d'une part, et entre les pouvoirs exécutif et législatif, d'autre part.
LE RENFORCEMENT DU POUVOIR DU PRESIDENT AVEC LE QUINQUENNAT L'instauration du quinquennat, conjuguée à l'inversion du calendrier électoral, où les élections législatives suivent de quelques semaines celle du président de la République, a considérablement renforcé le caractère présidentialiste de la Vième République, au détriment du Parlement et du Gouvernement. Depuis 2002, cette nouvelle configuration institutionnelle et électorale fait systématiquement du président de la République, nouvellement élu, le chef incontesté de la majorité à l'Assemblée nationale. En effet, de façon systématique depuis 16 ans, les députés sont élus dans le sillage de la désignation du chef de l'Etat et lui vouent en retour une loyauté presque absolue, de sorte que le Palais Bourbon ne dispose plus véritablement d'autonomie vis-à-vis de l'Elysée. Cette situation a aussi pour effet d'effacer un peu plus le rôle du Premier ministre, celui-ci n'étant plus qu'un "chef d'état-major" au service du président de la République. Il en résulte que le quinquennat a sensiblement renforcé les pouvoirs du président de la République et a entraîné une "responsabilité plus directe du président pour la conduite des affaires de l'Etat" (4), le plaçant de façon continue au "premier plan" (5). Dans les faits, il concentre aujourd'hui la quasi-totalité des pouvoirs de l'exécutif, dont ceux dévolus traditionnellement dans un régime parlementaire au Premier ministre. Dans une telle configuration, les limites posées à son pouvoir, tant par le pouvoir législatif qu'exécutif pour sa partie gouvernementale, sont quasiment nulles. Ce scénario fut d'ailleurs bien pressentie par Maud Fouquet-Armand, lorsqu'elle écrivit dans un article de doctrine constitutionnelle en 2001 que "malgré la diminution du mandat qui pourrait a priori s'apparenter à une diminution des pouvoirs, on ne voit pas comment le Président ne sortirait pas renforcé de cette révision, se présentant plus que jamais comme le chef de la majorité parlementaire dont il dirigera l'action pendant cinq ans à l'aide d'un gouvernement qui aura davantage l'allure d'une administration, et sans se soucier du risque d'une cohabitation" (6). Le quinquennat a parachevé la fusion des fonctions présidentielle et gouvernementale, et a fait du chef de l'Etat le seul leader de la majorité politique au pouvoir. Cependant, en donnant naissance à une sorte d'omnipuissance présidentielle dans une société devenue dans le même temps hyper-médiatisée, il a enfermé le président de la République dans l'immédiateté et le court-terme, où l'intérêt général se réduit à l'intérêt du moment, pour ne pas dire partisan voire personnel dans l'optique d'échéances électorales à venir.
L'AFFAIBLISSEMENT DE LA FONCTION PRESIDENTIELLE AVEC LE QUINQUENNAT L'article 5 de la constitution du 4 octobre 1958 prévoit que le président de la République "assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités". Dans la conception de Charles de Gaulle, le président de la République doit être "au-dessus des contingences politiques" (7) et incarner une forme de permanence par rapport à ces dernières. Pour lui, le président de la République est "l'homme de la nation, mis en place par elle-même pour répondre de son destin" (8). Force est de constater que la pratique s'est particulièrement éloignée de cette conception, même si elle ne l'a jamais vraiment épousée depuis 1958 (9) : en raison de la légitimité historique du président de Gaulle, de l'élection de ses successeurs au suffrage universel direct et de l'apparition du fait majoritaire à l'Assemblée nationale dès 1962. Toutefois, le quinquennat, au lieu de corriger ce décalage l'a renforcé. Il a rendu encore "moins probant l'image de l'arbitre" (10) et a changé la "nature même de la présidence" (11). De façon plus inquiétante, dans le fonctionnement institutionnel actuel, le Premier ministre n'est même plus un "fusible", dont la "mission primordiale est de protéger le président" (12). Aujourd'hui, le président de la République se trouve surtout "en charge de l'existentiel, chargé de tous les maux de l'existence, que les citoyens lui imputent, qu'ils l'aient élu ou combattu. Il se voit alors contraint de répondre à leurs préoccupations et, là où autrefois il privilégiait un savoir-faire discret, laissant son Premier ministre "durer et endurer" selon les mots du général de Gaulle, il verse aujourd'hui dans le faire savoir apparent" (13). Cela n'est sans doute pas un hasard si les pères fondateurs de la Vième République étaient tous deux farouchement opposés au mandat présidentiel de 5 ans (14). Charles de Gaulle avait dit à Alain Peyrefitte qu'il excluait "totalement" (15) le quinquennat, car "il ne faut pas que le Président soit élu simultanément avec les députés, ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis, altérerait le caractère et abrégerait la durée de sa fonction de chef de l'Etat" (16). Michel Debré s'était également positionné contre le quinquennat présidentiel, car - selon lui - "la France a tant besoin de stabilité qu'il (…) paraît bien vain de chercher à retrancher une ou deux années. (…) Il est bon que le mandat présidentiel soit plus long que celui de l'Assemblée : il donne au président ce sens de l'autorité supérieure qui est indispensable à l'exercice de sa fonction" (17). Ces analyses furent également partagées par Maurice Couve de Murville, le dernier Premier ministre de de Gaulle, qui considérait, pour sa part, que le quinquennat pousserait la France "vers un processus de démantèlement de la Constitution" (18), mettant "son essence même en cause" (19). En réalité, si le quinquennat a fortement renforcé les pouvoirs du président de la République, il a considérablement affaibli la fonction présidentielle. Jean-Eric Schoettl le confirme : "avec l'instauration du quinquennat en 2000, (…) la synchronisation des élections présidentielles et législatives affaiblit le couple exécutif : en laissant le chef de l'Etat seul face aux citoyens, car seul détenteur de l'autorité originelle (…) et en enfermant le Premier ministre dans un étouffant dilemme entre le rôle de "collaborateur" et celui de "rival" (20).
L'ACCELARATION DU DECROCHAGE DE LA FRANCE AVEC LE QUINQUENNAT En tout état de cause, la situation générale dans laquelle se trouve actuellement la France témoigne que ce système politique ne fonctionne pas et qu'il ne parvient surtout plus vraiment à répondre aux défis qu'elle doit relever. Pour preuve, depuis le début des années 2000, la dette publique n'a jamais autant progressé, le chômage n'a jamais été aussi durablement élevé, les questions sociétales ne se sont jamais autant faites ressentir, l'économie française n'a jamais autant décroché, de telle sorte qu'elle se situe à ce jour à la 7ème place mondiale (pour combien de temps encore ?), le taux de prélèvement obligatoire n'a jamais été aussi fort, le système éducatif national n'a jamais été aussi mal noté au niveau international, etc. Qui plus est, la stabilité politique qui pouvait caractériser la Vième République initialement, par contraste avec les deux républiques qui l'ont précédé, n'est même plus vraiment au rendez-vous. Depuis 2002, la France a eu 4 présidents de la République différents, lesquels ont tous été élus en rupture avec le précédent, même lorsqu'ils appartenaient à des familles partisanes communes au départ. Il s'agit-là d'autant de paramètres qui objectivement et de façon globale indiquent que depuis de nombreuses années la France n'est pas sur le chemin du succès qu'elle a incontestablement connu durant les premières décennies de la Vième République. Cet état de fait ne relève pas - uniquement - du quinquennat et de la seule responsabilité des derniers présidents de la République, mais de la classe politique et administrative dans son ensemble. Il permet néanmoins de mettre en évidence que le fonctionnement institutionnel actuel de la Vième République n'est plus satisfaisant, car il n'est plus en mesure ou en capacité de répondre aux intérêts de la France. Plus encore, il ne lui permet plus de s'inscrire dans le moyen ou le long terme, alors que cette mission est en principe et dans l'esprit de l'actuelle loi fondamentale française dévolue au chef de l'Etat. Dès lors, dans ce contexte et à la réflexion, il apparaît que la question de la durée du mandat présidentiel, qui semblait avoir été inexorablement tranchée en 2000, présente encore une réelle acuité. La réponse à cette question dépend nécessairement de la conception que l'on a de la fonction présidentielle. Si l'on considère que le président de la République doit être celui qui gouverne, concentre entre ses mains tout le pouvoir exécutif et fait enregistrer ses propres choix politiques par le Parlement, le quinquennat s'impose avec évidence. En revanche, si l'on estime au contraire que le président de la République doit avoir la responsabilité de la destinée de la France sur le temps long et être un garant des intérêts supérieurs de la nation, ce qui implique une restauration des fonctions gouvernementale et parlementaire, alors le rétablissement du septennat semble indispensable. Or, comme cela a été exposé, le schéma d'un président de la République qui gouverne totalement ou absolument n'est pas satisfaisant à l'épreuve des faits. Le retour à une conception plus classique ou traditionnelle de la fonction présidentielle serait certainement plus salutaire pour l'avenir de la France. Pour le salut de la nation, le président de la République doit être un "magistrat suprême et non un gouvernant actif" (21), conformément au texte de la constitution de 1958 et à la "vocation du mandat présidentiel".
LA RESTAURATION DE LA FONCTION PRESIDENTIELLE AVEC LE SEPTENNAT UNIQUE Le septennat permet très justement au président de la République d'incarner la continuité de l'Etat, de se placer plus facilement "au-dessus des contingences politiques" (22). Un mandat d'une durée de sept ans permet au chef de l'Etat de "prendre un certain recul par rapport aux autres acteurs du jeu politique" (23), de donner une "force symbolique" (24) et de l'autorité à sa fonction, notamment "dans la conduite des affaires internationales" (25). Le septennat soustrait surtout plus facilement le président de la République à la pression de l'opinion, perpétuellement sollicitée par la voie des sondages, et du débat politique médiatisé, omniprésent dans la société moderne. Enfin, le septennat permet également de distinguer la fonction présidentielle des autres fonctions gouvernementale ou parlementaire, en lui assignant une mission propre et distincte de celles dévolues aux deux autres. Il y a toujours un lien entre la durée d'un mandat et la fonction qui est attribuée à son détenteur. D'une certaine façon, la durée fait le mandat et inversement. Le septennat, comme chacun le sait, est un pur hasard de notre histoire nationale, né de la loi du 20 novembre 1873 ayant pour objet de confier le Pouvoir exécutif, pour sept ans, au Maréchal de Mac Mahon, duc de Magenta, dans l'attente - officieusement publique - du rétablissement de la monarchie en France. Jusqu'en 2000, le septennat était "devenu, au fil du temps, un principe républicain" (26) ou, si l'on préfère, faisait partie de la "tradition républicaine" (27), puisqu'il avait été repris de façon continue par les constitutions de 1875, 1946 et 1958. Il était en parfaite adéquation avec l'image qu'avait Charles de Gaulle de la fonction de président de la République, c'est-à-dire un "monarque républicain, au-dessus des partis" (28). D'une certaine manière, dans la conception française, le septennat présidentialisait la fonction présidentielle. Toutefois, les bienfaits du septennat seraient d'autant plus forts si ce dernier était unique ou non renouvelable pour tout "locataire" de l'Elysée. Pour sa part, dans le passé, François Mitterrand s'était déclaré résolument favorable (29) à cette formule. Cette option donnerait tout le courage et l'aplomb nécessaire aux futurs présidents pour engager le pays sur des chemins plus difficiles, et parfois impopulaires, afin de lui permettre de relever les défis qui s'imposent à lui, mais également de faire les choix utiles aux générations futures. On peut légitimement se demander si la France serait dans la même situation si tous ceux qui l'ont présidée depuis les années 70 n'avaient pas eu comme ambition dès leur arrivée au pouvoir suprême d'y être reconduit à l'élection suivante ? Nul doute que les décisions qui s'imposaient alors auraient été plus couramment impulsées par des présidents qui n'auraient pas été inquiétés par leur popularité en vue du renouvellement de leur mandat. De ce point de vue, le septennat unique pourrait être le tuteur moral ou éthique de tout président de la République pour le plus grand bien de la patrie dans son ensemble. Cependant, en réalité, l'instauration du septennat unique et le retour à un exercice plus classique de la fonction présidentielle supposerait d'aborder une autre question, encore plus fondamentale peut-être, mais toute aussi indispensable à vrai dire, celle concernant le mode de désignation du président de la République. Pour Pierre Mazeaud, l'élection de ce dernier au suffrage universel direct (30) est "une erreur dont on paye de plus en plus le prix (…), car on est dans un système où l'on marche sur un pied : le Premier ministre n'est plus celui qui détermine et conduit la politique, où peu à peu le Parlement perd de son autorité et, par la même, le président de la République est celui qui décide pratiquement de tout" (31). Depuis plus d'une décennie, l'actualité confirme quotidiennement ce constat, et révèle toutes ses limites. Cependant, à l'évidence, la question du mode d'élection du président de la République est tabou en France et il est politiquement incorrect de l'aborder, alors qu'il devrait pouvoir faire l'objet d'un vrai débat, de façon objective et dépassionnée. François Mitterrand l'avait lui-même reconnu avec une particulière lucidité dans une lettre du 30 novembre 1992, dans laquelle il avait écrit qu'"on ne reviendra pas sur l'élection du Président au suffrage universel. Elle est entrée dans nos moeurs et tout montre que le peuple français qui l'a décidée par référendum y est plus que jamais attaché" (32). Cette analyse fut partagée à l'époque par le doyen Vedel, pour qui "l'élection au suffrage universel direct n'est pas susceptible d'être remise en cause" (33). Ce constat reste totalement d'actualité. Les taux de participation aux élections présidentielles démontrent le profond attachement des Français à l'élection du président de la République par toute la nation, et qu'elle reste, quoiqu'on en dise ou pense, la mère des élections dans notre pays. C'est pour cette raison que la sacralité qui entoure le mode élection du président de la République fait que "la question de la durée (de son) mandat est d'autant plus centrale" (34), "faute de pouvoir abolir son élection par le peuple" (35).
Alain Joyandet |
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